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Violoniste ou violoneux ?

par Marie Muller

article commandé pour le blog du Concours Musical International de Montréal

A priori, rien ne ressemble plus à un violoniste qu’un violoneux avec un violon sous le bras. Mais à bien y regarder, il semble qu’il n’y ait entre eux qu’un point commun : le violon. Si le violoniste interprète de la musique classique ou du jazz, le violoneux, lui, fait de la musique traditionnelle. Il se qualifie la plupart du temps par ses origines ethniques ou géographique : violoneux du Cap-Breton, québécois, irlandais, ukrainien, tzigane… Le violoniste a suivi une formation académique dans des structures bien établies, parfois prestigieuses, conservatoires de musique ou universités. Il interprète de la musique savante dont la mémoire est conservée sur des partitions, manuscrites ou imprimées. En se référant ainsi à l’écrit, il met son art au service d’une œuvre et d’un compositeur. Le violoneux, lui, a dû se frayer sa propre route, en autodidacte, ou, au mieux, par transmission familiale, au contact d’un parent, issu lui-même d’une famille de violoneux de père en fils. Il constitue son répertoire en collectant des airs auprès des anciens : père, oncle… N’ayant pas appris à lire la musique, il les reproduit par oreille et les mémorise. Relais entre deux générations, il est une bibliothèque vivante et éphémère à laquelle viendront se référer par la suite les plus jeunes. À l’occasion, il se « fabrique » des morceaux comme il a fabriqué jadis son premier violon. Il est sans doute l’emblème de l’art populaire dans ce qu’il a de plus vivant. 

 

« Avec le violon, il faut choisir : ou bien tu joues juste, ou bien tu joues tzigane. » [Boby Lapointe]

 

La technique requise pour l’interprétation des grandes œuvres classiques exige du violoniste une parfaite maîtrise de son instrument, de l’archet, du vibrato, une grande pureté du son, une large mobilité de la main gauche sur la totalité du manche, une virtuosité athlétique, une palette sonore nuancée et contrastée, tout ceci avec une justesse irréprochable. Ce soucis extrême du détail implique une discipline rigoureuse, une position exemplaire, une bonne connaissance de la physiologie pour une efficacité optimale, une perfection dont les oreilles exercées sauront déceler les moindres failles le cas échéant. L’idée selon laquelle il n’existe qu’une technique, la bonne, ne fait pas l’unanimité. Le violoneux, autodidacte, pourrait sans doute rétorquer avec un peu de fierté : « Il n’y a pas qu’une technique ; il y a aussi la mienne ». Les violoneux ont, la plupart du temps, dû se forger leurs propres armes, mettant leur technique à l’épreuve de l’endurance, les soirs de veillées à accompagner les fêtes du village. Populairement, on pourrait dire du violoneux qu’il « ne monte pas » – qu’il ne démanche pas –, la plupart du répertoire traditionnel s’effectuant dans des tonalités à deux ou trois altérations maximum, jouables en première position. La technique de certains peut paraître pour le moins fantaisiste au regard des violonistes bien éduqués : pas de mentonnière, poignet gauche retourné, violon bas, coude gauche collé au corps… Cela fonctionne malgré tout et garantit au violoneux un style qui lui est propre. Il arrive également qu’il modifie l’accord de son instrument pour faciliter le jeu dans certaines tonalités (ex : la-mi-la-mi).
 
Le violoniste, qu’il soit soliste ou musicien de rang dans un orchestre, se produit en concert, dans une salle dédiée à cet effet. Le public, assis, écoute religieusement la musique qui émane de son violon, livrant son émotion la plus profonde. « C’est l’instrument des tempéraments humains par excellence, il exprime la conscience du violoniste, révèle les secrets de ses sentiments, arrivant à traduire de manière aussi claire que parfaite ses moindres penchants et ses émotions les plus subtiles. Mis sur la poitrine du musicien au moment de l’interprétation, l’instrument arrive à transporter sur ses cordes les battements de son cœur. » (Haïni, poète allemand)
S’il s’agit d’un violoneux, sans doute arrive-t-on à entendre les battements de ses pieds, car sans nul doute la vie rythmique constitue l’essence de sa musique. Musique à danser, elle accompagne les veillées, les danses, les bals, et rythme la vie de la communauté. Si le public du violoniste est assis, celui du violoneux est debout ! Avec de petits coups d’archet, courts et rapides, avec un grand sens de l’ornementation et de la variation, avec parfois les frappements de ses pieds comme unique accompagnement, le violoneux ferait lever les plus réfractaires.
 
De nos jours, les différences entre violoneux et violonistes tendent à se réduire. Il y a parmi la nouvelle génération de musiciens traditionnels de jeunes violonistes issus d’une formation classique solide et rigoureuse. Certains entretiennent cette ambivalence – parfois ambiguë – de l’étiquette qui leur permet d’afficher le statut de « violoniste » ou de « violoneux » au gré des besoins. Ainsi, les pistes sont parfois brouillées.
Dans le doute, gardez vous d’appeler « violoniste » un vieux de la vieille qui a roulé sa bosse à faire giguer les siens dans tous les bals de la Province, et « violoneux » celui qui s’échevelle en coulisse dans la cadence du concerto de Bruch. Il y a du prestige à être violoniste. Il y a un honneur à être violoneux.
 

Marie Muller, 2006

Violinist or fiddler?

by Marie Muller

translated by Keren Penney

On first glance, nothing resembles a violinist more than a fiddler with a violin tucked under his arm. But on closer examination, one has to conclude that they really have only one thing in common: the violin. The violinist performs classical music or jazz, while the fiddler plays traditional music, in a style determined by his geographical or ethnic origins: Cape Breton, Quebecois, Irish, Ukrainian, gypsy…
 
The violinist has followed a well-established, and sometimes quite prestigious, path of academic training in conservatories or universities. He plays “serious” music that will be forever preserved for posterity in music scores, manuscripts and other publications. In so playing from a printed document, he puts his art to the service of a work or a composer. The fiddler has had to make his own way, teaching himself or, preferably, learning from within his family, from a parent who was himself one in a long line of fiddlers. His repertoire consists of melodies passed down from his elders: father, uncle and so on. Having never learned to read music, he plays these reels by ear and memorizes them. A relay between generations, he is a living and ephemeral repository the next generation will draw from. Sometimes, he “constructs” melodies in the same way he constructed his very first violin so long ago. The fiddler is, without a doubt, the symbol of the liveliest form of folk art.

 

“With the violin, you choose: you play right, or you play gypsy.” [Translation] Boby Lapointe

 
The technique required to play the important works of the classical repertoire demands from the violinist a mastery of his instrument, the bow and the vibrato, a great purity of sound, a formidable dexterity in the left hand along the breadth of the fingerboard, an athletic virtuosity, a sound palate full of nuance and contrast, and an irreproachable pitch to top it all off. This uncompromising attention to detail demands a strict discipline, an exemplary position, an extensive knowledge of physiology for optimal efficiency and a perfection whose flaws would only be discernible to trained ears.
 
There is not unanimous agreement about there being only one right technique. With some pride, the self-taught fiddler could retort, with justification: “There isn’t just one technique; there’s also my technique.” Fiddlers have often had to forge their own arsenal of tricks, pitting technique against the test of endurance, playing into the night at village fairs. It is often said that a fiddler “doesn’t move,” in other words there is no shift in fingering positions; most of the traditional repertoire is played in keys with no more than two or three alterations at the key signature, all of which can be played in the first position. Some aspects of fiddle playing may seem quite unconventional to a trained violinist: no chin rest, the left hand is turned in, the violin is held low and the left elbow is kept close to the body. In spite of all that, it works, and the fiddler certainly develops his own unique style. Sometime, he will even change the tuning of his instrument to make it easier to play in certain keys (e.g.: A-E-A-E).
 
The violinist, as soloist or section player in an orchestra, performs in concert, in a hall dedicated to that purpose. The public is seated and listens with reverence to the music emanating from his violin, bearing his deepest emotion. “It is the instrument par excellence of human temperament; it expresses the consciousness of the violinist, reveals the innermost secrets of his emotion, translating in a way that is as clear as it is perfect his slightest penchant and most subtle of his emotions. Placed upon the breast of a musician during a performance, the instrument conveys over its strings the very beating of his heart.” [Translation] Haïni, a German poet.
 
Rhythm being the essence of the fiddler’s music, one is sure to hear the beating of his feet when he plays. It is music to dance to and accompanies all manner of gatherings and dances, giving rhythm to the community. While a violinist’s audience sits respectfully, a fiddler’s are on their feet! With its rapid-fire accented bow strokes, rich sense of ornamentation and variation, accompanied only by the occasional stomping of feet, the fiddler’s music defies anyone to stay seated.
 
Today, the differences between violinist and fiddler are less evident. Among the new generation of traditional musicians are young violinists with solid classical backgrounds. Some cultivate this ambivalence and call themselves “violinist” or “fiddler” as the situation demands. Thus, the lines separating the two are becoming somewhat blurred.
 
Still, one probably wouldn’t give the title of “violinist” to an old veteran of the Quebec dance circuit, who has folks kicking up their heels to his jigs and reels, nor that of “fiddler” to the musician who musses his hair onstage during a fervid cadenza in a Bruch concerto. There is prestige in being a violinist; there is honour in being a fiddler.
 

 Marie Muller, 2006
 Translated by Keren Penney

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